• Avec le concours de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, une direction du secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.
    Avec le concours de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, une direction du secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.
  • Portrait de Jules Meurillon

    Laurent Douzou

    Jules Meurillon (1914-1998), alias « Julien », « Léonard », a été chef du service de la propagande-diffusion de Libération-Sud de septembre 1942 jusqu’à la Libération. À ce titre, il a imprimé le journal du Mouvement, Libération, RES G-1470 RES P-G-26 et RES ATLAS-G- et de nombreux tracts.



    Fin septembre 1942, Édouard Ehni, secrétaire cgt du syndicat du Livre du Rhône, qui avait jusque-là en charge les publications clandestines du mouvement Libération de zone sud, est arrêté. Incarcéré à la prison Saint-Paul à Lyon, interné ensuite à Aiguebelle en Savoie, Edouard Éhni coupe avec Libérationpar la force des choses.

    L’homme chargé par Maurice Cuvillon, secrétaire général du Mouvement, de penser une indispensable réorganisation dans les meilleurs délais est Jules Meurillon. Celui-ci se met tout de suite à la tâche. Il le fait à sa manière  : méthodique, pensée et rigoureuse. Originaire du Nord comme Cuvillon, ce jeune homme, qui va fêter son 28e anniversaire, est ouvrier serrurier. Néophyte en imprimerie, il monte progressivement une mécanique d'une rare ingéniosité.
    Dans un premier temps, Meurillon s'attache à faire reparaître le journal. Le numéro 19, qui inaugure son «  règne  » à la tête du service, ne sort qu'en novembre 1942, preuve des difficultés auxquelles il s’est heurté. Il se compose de deux pages seulement, mais c’est déjà un joli tour de force que d’être parvenu à le réaliser. Le journal lui-même le dit d'ailleurs à sa façon qui n'est pas dénuée d’ironie dans ce même numéro  : «  Imprimé sous l’Occupation allemande. Des circonstances techniques indépendantes de notre volonté ont retardé la parution du présent numéro. Le journal paraîtra désormais plus régulièrement et sous sa présentation habituelle.  » En dépit de cette promesse, le numéro suivant, daté du 1er décembre, n'a toujours que deux pages et porte la mention suivante  : «  Imprimé sous l'Occupation. Le prochain numéro sera diffusé dans la seconde quinzaine de décembre et aura la présentation habituelle sur quatre pages.  »

    Jules Meurillon adresse alors une circulaire aux Régions pour trouver des imprimeurs. Il réussit ainsi à s’assurer le concours d’un imprimeur de Montélimar, Eugène Groullier, 38 ans, à la tête d'un atelier où l’épaulent sa femme Yvonne, sa cadette d’un an, qui est margeuse, leurs deux fils, Yves et Louis, âgés respectivement de 14 et de 13 ans, et Yvan Borel, 41 ans, typographe. À l’été de 1943, Louis Radix, pseudonyme «  Lili  », 39 ans, beau-frère de Mr Groullier, quitte l’imprimerie Hennequin où il travaillait à Lyon en qualité de conducteur-typographe pour rejoindre Montélimar.
    Jules Meurillon, qui n’oublie pas les circonstances dans lesquelles il a dû prendre les rênes d'un service démantelé et a eu tout loisir de mesurer les répercussions durables d’une répression bien menée, poursuit sa quête d'imprimeurs et se trouve graduellement à la tête d’un réseau impressionnant  : les imprimeurs Azzaro à Toulon, Subervie à Rodez, Michallat à Bourg-en-Bresse, Lion à Toulouse et, en 1944, Haumont à Paris, travaillent pour Libération-Sud. Une imprimerie de Toulouse, une autre à Montauban, une à Amiens, deux à Lyon dont celle de Martinet complètent le dispositif, rendant possible non seulement l’impression du journal mais aussi celle d’une imposante masse de tracts.

    Pour diluer les risques et empêcher un coup de filet qui mettrait à bas tout un édifice patiemment construit pierre à pierre, il conçoit un système ingénieux.
    L’imprimerie de Montélimar ne peut, à elle seule, assurer un tirage qui va croissant. Mais la multiplication des centres d'impression fait que la composition du journal ne peut être faite pour des raisons techniques dans toutes les imprimeries. Jules Meurillon a alors l’idée de faire réaliser par un photograveur deux jeux de clichés sur zinc par journal. L’avantage est d’obtenir grâce à ces clichés une impression rigoureusement identique de quelque imprimerie qu’elle provienne. Francisque Vacher, photograveur au Progrès de Lyon, accepte cette tâche.

    Cette organisation rend possible une montée en puissance des tirages. Le numéro 19 est tiré à 20 000 exemplaires. Le tirage double pour le numéro 20. Il croît encore pour les numéros 21 à 30 (15 décembre 1942 1er juillet 1943), oscillant entre 60 000 et 100 000 exemplaires. Les numéros 31 à 44 (14 juillet 1943 5 mars 1944) atteignent entre 120 000 et 150 000 exemplaires. Enfin, les numéros 44 à 54 de mars à août 1944 culminent entre 120 000 et 200 000 exemplaires  ! Habituellement de format 21 x 27 cm sur quatre pages, ces journaux n’ont parfois que deux pages, avec un format réduit lorsqu’il s'agit de numéros spéciaux, essentiellement pour les 1er Mai, 14 Juillet et 11 Novembre. Leur tirage peut alors s'élever jusqu'à 300 000 exemplaires.
    Aux chiffres considérables dont nous venons de faire état, il convient d'ajouter ceux des tracts édités et diffusés par Libération. Les tirages en sont importants, variant entre 100 000 et 300 000 exemplaires en sorte que leur volume total est largement supérieur à celui des journaux.


    Jules Meurillon suggère à la direction de Libération d'acheter une imprimerie pour le compte du Mouvement. Sa proposition entérinée, il prospecte et se porte finalement acquéreur en septembre 1943 de L'Imprimerie Moderne, installée 13, rue Lamartine à Auch. C'est là qu’est tiré le premier numéro des Cahiers de Libération, daté de septembre 1943, revue de prestige confectionnée avec un soin extrême. En dernière page de ce numéro un, se trouve cette mention  : «  Ce volume a été achevé d'imprimer sous l’Occupation nazie le 25 septembre 1943.  » Les numéros 2 daté de décembre 1943, 3 de février 1944, et 4 de mars 1944 sont tirés à Paris, dans l'imprimerie de Jacques Haumont. De format 14 x 19 cm, ce sont de petits livres brochés qui comptent entre quarante et quatre-vingts pages. Le premier numéro est tiré à 30 000 exemplaires, le deuxième à 15 000, le troisième à 10 000 et le quatrième à 1 000.
    En décembre 1943, Yvonne et Louis Groullier, Jean Borel, propriétaires de l’établissement d’Auch, Jeanne Laffargue, unique ouvrière de la maison, Eugène Groullier, le père de Mme Groullier, les deux fils et une des filles Groullier sont arrêtés.
    Le service de la propagande-diffusion n’en continue pas moins sa tâche, même si le coup dur de décembre 1943 le désorganise et peut faire redouter d’autres arrestations. Il fait appel, à partir du début de 1944 et de plus en plus jusqu’à la parution du dernier numéro clandestin du 20 août 1944, à des imprimeurs parisiens, le service comme tous les autres ayant été transféré à Paris. Jacques Haumont, rue de Poissy, Renaud dans le XIIIe arrondissement et Roger Girard, rue de Vaugirard, composent et impriment le journal.
    La rigueur de Meurillon lui a permis de façonner intégralement son service en n’économisant ni sa peine, ni les risques. Le service de la propagande-diffusion est à l’image de son patron. Car «   Julien  » n'est pas seulement un organisateur né, c'est aussi un patron exigeant. Son autorité, dont il ne fait pas étalage, est forte. À l’un de ses subordonnés, il envoie, le 25 juillet 1944, un petit billet caractéristique du personnage  :

     «  Je viens d'avoir ta note de frais de mai-juin et je regrette beaucoup mais je ne suis pas du tout d'accord.
    Tu me comptes en mai 800 francs de cigarettes. J’aime autant te dire que je ne suis pas un bureau de bienfaisance et ce d’autant plus que tu me marques 4 750 de frais exceptionnels pour juin. Quelle est la nature de ces frais exceptionnels  ?
    Révise donc un peu cette note et cesse de me prendre pour une vache à lait dont les pis sont inépuisables.
    Cordialement quand même.  »

    La réponse à cette algarade est immédiate  :

     «  Cigarettes et tabac. C’est uniquement ce que j’ai offert à Perrache (pour les expéditions faites sans billet). Comme bureau de bienfaisance, je suis un peu plus large que toi, et je n’ai jamais demandé à être remboursé... dont acte. Bien à toi.  »

    Dont acte, en effet. Mais l'anecdote est parlante. D'une honnêteté scrupuleuse, Jules Meurillon ne transige pas avec son code moral. L’apparence débonnaire et la simplicité de l’homme dissimulent une volonté inflexible. Nul doute que son service lui doit pour une bonne part son succès. Pierre Hespel, ami intime d'André Lahaut, qui travailla sous les ordres de Jules Meurillon, dresse de lui un portrait qui dit bien l'estime dans laquelle il était tenu par le groupe des agents de liaison du Centre  :

    «  Julien, alors lui, c’est le personnage  ! C’est le type qui a la terre sous ses souliers. C’est la force de la nature, y compris physiquement, costaud quoi. C’est le type calme, discret, chaleureux. Disons  : on va à la mort, si on va à la mort avec Julien, la mort doit être douce. C’est un type extraordinaire. Et puis un organisateur hors pair. J’ai pas su tout de suite quand j’ai vu Julien qu'il était la Propagande. Julien d’ailleurs, il aurait été aussi capable de tout et en plus il avait une tête politique.  »