• Avec le concours de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, une direction du secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.
    Avec le concours de la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives, une direction du secrétariat général pour l’administration du ministère de la Défense.
  • "Sans relâche et sans gloire"

    Pierrette Turlais

    « À ceux qui "sans relâche et sans gloire", pour reprendre les mots de Jean-Louis Crémieux-Brilhac, se sont, à l’aube des années noires, emparés de leur destin en choisissant le refus.
    À ceux qui « sans relâche et sans gloire » ont eu l’intuition, insigne, de conserver la mémoire de ces tracts et papillons ».

    Puissants et fragiles, les tracts et papillons écrits et diffusés sous l’Occupation constituent une mémoire paradoxale. Nés dans l’ombre, le danger, l’urgence, voués à l’éphémère, ils ont survécu et leur persistance de sentinelles nous livre aujourd’hui une page d’histoire inédite.

    Issus de gestes furtifs, anonymes, ou échos d’une clameur organisée ; manuscrits, dactylographiés, ronéotypés, imprimés, décuplés (au tampon, pochoir, carbone) ; cachés, disséminés, un, cent ou mille, ces papiers racontent les années noires et la Résistance. Qu’ils témoignent de courage ou d’audace, invitent au sabotage, à manifester publiquement le 1er Mai, le 14 Juillet ou le 11 Novembre, à rejoindre le maquis ou à dénoncer le port de l’étoile jaune, ces tracts et ces papillons disent, en creux, la logique du refus, l’impérieux besoin d’agir, la puissance et l’espoir collectifs ainsi que le rôle de chaque individu, acteur de ses choix, à l’intérieur de tout un rhizome.

    La consultation de ces milliers de papiers conservés à la Réserve des livres rares de la Bibliothèque nationale de France montre, très vite, une extraordinaire Babel de tonalités et de formes qui dessine une geste pionnière sur fond de jaillissements désordonnés, mais aussi de forces qui sourdent, d’ondes souterraines puissantes que la limite du papier ne peut ni contenir ni contraindre. Savamment mis en page, maladroits ou indigents, ces tracts et papillons appellent, évoquent et convoquent. Ils s’indignent, hurlent la colère, la révolte. Ils proclament la légitimité de l’action entreprise, prophétisent la victoire et annoncent ce que seront les jours d’après. Ils sont poétiques pour certains, pragmatiques pour d’autres, idéologiques ou empreints de spiritualité pour d’autres encore. Ils sont hétérogènes mais agrègent parfois leurs clivages ; certains expriment pêle-mêle l’ironie, l’espièglerie et l’humour. Ils sont vivants, plus encore, leur ferment est intact, comme si, à travers eux, ce réseau d’acteurs épars et anonymes dont ils garantissent la trace demeurait potentiellement invincible.

    Après les Cahiers de l’île du Diable d’Alfred Dreyfus et Le Second Enfer, autodafé d’un choix d’Étienne Dolet, l’un et l’autre également consacrés à une forme d’écriture nécessaire, de survie, j’ai souhaité sortir du silence ce corpus inédit de tracts et de papillons pour interroger un trou de mémoire. L’étude précise de ces papiers, oubliés ou considérés jusqu’à présent comme de simples scories, dévoile leur sens, leur rôle, leur impact. Et, pour moi, leur éclat. À l’instar de cette lumière de lune, si propice on le sait à l’activité des résistants, et disséminée en chacun d’eux comme ces « lucioles », pour reprendre la métaphore de Georges Didi-Huberman, qui nous gardent dans la nuit.